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Professeur au Collège de France, administrateur général de la Bibliothèque nationale, historien du monde rural et du climat, Emmanuel Le Roy Ladurie est décédé le 22 novembre 2023  à l’âge de 94 ans.

 Il était connu pour être un des précurseurs de l’histoire du climat.

En 1967, il a publié « L’Histoire du climat depuis l’an mil ».

            Les années 1693 et 1694 ont été terribles pour les Français et on a eu en France 1,3 million de morts pour une population de 20 millions soit 5,8 % de la population.

C’est de loin la plus grande catastrophe démographique qu’ait éprouvé la France de 1680 à nos jours. C’est un désastre pire que les guerres de la Révolution et de l’Empire, celle de 1870, celle de 14-18 et celle de 39-45.

Impact du climat sur la mortalité en France, de 1680 à l’époque actuelle

Emmanuel Le Roy Ladurie et Daniel Rousseau

(Extrait de l’article paru dans la revue, La Météorologie en février 2009)

« Les causes immédiates de la catastrophe de 1693-1694 tiennent aux très fortes pluies par temps frais ou froid de l’été et de l’automne 1692 ; récoltes des grains 1692 très abîmés déjà et surtout semailles ratées dès l’automne 1692.

Les charrues n’entrent plus dans les terres excessivement détrempées.

La série noire, si l’on peut dire continue en 1693, pluies au printemps et début avec un petit coup d’échaudage en août pour compléter le tableau.(échaudage=mauvaise circulation de la sève)

C’est "la cerise sur le gâteau" .

D’où un gros déficit de la récolte de 1693   avec manque de grain et de pain.

Un certain nombre de personnes meurent directement de faim, mais pour l’essentiel ce sont les épidémies favorisées par la sous-alimentation, qui aggravent considérablement la mortalité (typhus, dysenterie, fièvres diverses).

Les bandes de mendiants promènent l’infection contagieuse tout au long des routes et des villes du royaume.

Les pauvres sont évidemment les principales victimes, mais les riches ou les aisés ne sont pas spécialement épargnés par les épidémies et parfois du fait de la sous-alimentation. »

 

            Mes ancêtres paternels ont vécu à Reugny (Indre et Loire) de 1500 à la Révolution.

            La consultation des registres paroissiaux  pour ces 2 années et en particulier 1694 montrent que la famine et les maladies afférentes  ont sévi dans ce village et que les morts ont été nombreux : 144 décès en 1694 pour seulement 25 baptêmes et 5 mariages.

            J’ai donc décidé de partir à la rencontre du curé de Reugny, François Deshaye , début février 1694.

 

Vue aérienne de Reugny

               

            Nous sommes le jeudi 4 février 1694 et je viens d’arriver au village de Reugny pour enquêter sur les conséquences du froid glacial qui règne sur la France.

J’ai été missionnée par une radio et il me faut donc rencontrer le curé qui procède aux sépultures.

Il est 11 heures et le tocsin retentit à l’église St Médard.

Je m’approche et vois un convoi avec 2 cercueils tout petits, un père et une mère courbés sous le chagrin et quelques voisins et amis.

Après la cérémonie, le curé ouvre une petite porte qui conduit directement au cimetière.

Les 2 cercueils sont déposés dans un trou creusé dans le sol, puis recouverts de terre.

 

                                Porte des morts donnant sur l’ancien cimetière                                             Blog Reugny-Neuillé de Guillaume Métayer

 

Tout est terminé et je rejoins le curé dans la sacristie.

Bonjour madame, que désirez-vous ? J’ai vu que vous sembliez intéressée par l’inhumation des 2 enfants, mais pourquoi donc ?

Je me présente tout d’abord, je m’appelle Odile Dumonceaux et je viens faire un reportage sur les conséquences du froid qui sévit.

Ah, mais votre nom de famille me dit quelque chose.

Quand je suis arrivé ici à Reugny en 1668, il y avait une famille importante, les Demouceaux. Êtes vous de la même famille ?

            Oui absolument ce sont mes ancêtres en ligne directe.                                                      De Demouceaux, nous sommes devenus Dumonceaux.

            En 1668, nous avons commencé à inscrire sur les registres paroissiaux les sépultures et c’est avec Jacques Demouceaux le Jeune, juge de la châtellenie de Reugny que nous avons paraphé la première page.

 

Que puis-je faire pour vous ?

            Je voudrais vous poser quelques questions sur les personnes décédées depuis le 1er janvier 1694 et connaitre leur nombre.

Je sais que janvier est en principe le mois des mariages, en avez-vous célébrés cette année.

            Le curé sort le registre d’une armoire de la sacristie et nous nous asseyons à la table.

            Depuis le début de janvier, il a rempli  5 pages et compte les décès, les baptêmes et les mariages.

            Je n’ai fait aucun mariage mais j’ai baptisé 3 enfants 

Par contre j’ai procédé à 19 sépultures et c’est énorme.

Voulez-vous des détails ?

            Oui

            La  première inhumation date du  1er janvier et c’était Nicolas Landes, un mendiant  malade et âgé d’environ 25 ans.

            Au cours de ce mois , un autre mendiant sans âge mais avec un nom et 3 inconnus âgés de 12-13 ans, 14 ans et 18 ans sont morts ici à Reugny. Ils s’étaient réfugiés dans la Halle du marché mais en vain.

C’est terrible de se dire que leurs parents ne sauront jamais rien de leur décès.    

Ensuite j’ai compté 6 femmes et 13 hommes.

Le plus jeune, Pierre Jaugonnet n’avait que 4 ans et la plus âgée, Anne Daviau 75 ans, et elle est décédée de mort subite, je n’ai donc pas pu lui administrer les saints sacrements.

          Et ce qui m’a beaucoup affecté, ce sont les décès survenus dans la famille Genty.

            Pourquoi ?

Les Genty forment  une honorable famille qui habite Reugny depuis plus de 70 ans.

            Les hommes exercent comme métier celui de « Faiseurs d’œuvres blanches »

Je vois que vous semblez étonnée, je vais vous  expliquer.

Les œuvres blanches étaient un gros outils à fer tranchant que fabriquaient les taillandiers.

Ainsi un taillandier se faisait-il appelé aussi "faiseur d'œuvres blanches" et fabriquait cognées, serpes et gros instruments tranchants servant à tailler et à trancher le bois.         

            Quels sont les membres de cette famille décédés ?

  • Le 10 janvier André Genty âgé de 38 ans est mort.

Sa femme, Catherine Aubert, et ses 2 parents assistent à l’inhumation qui a lieu dans l’église. André s’était marié en 1684 avec Catherine Aubert, alors âgée de 14 ans et il laisse 3 enfants de 7, 6 et 2 ans. C’est un grand malheur.

  • Le 13 janvier, c’est au tour de Françoise Leclerc de mourir. Elle était la mère du précédent et avait 60 ans.

     

  • Le 20 janvier, Antoine Genty meurt lui aussi. Ce n’est pas moi qui procède à la cérémonie car je suis malade mais je signe le registre tout de même. Antoine avait 61 ans.

     

            Pourquoi sont-ils enterrés dans l’église ?

La famille était très honorablement connue et c’est un hommage que nous leur rendons.

Essai sur les inhumations dans l’église de Reugny de Louis Tricot

Bulletin de la société archéologique de Touraine 1971

 

Je sens que le curé est fatigué et je le remercie beaucoup du temps qu’il m’a consacré.

Mais j’ai juste une question encore.

Avez-vous enterré récemment des membres de la famille Demouceaux ?

Non car aucun Demouceaux n’habite actuellement Reugny.

Jacques Demouceaux le Jeune est désormais Bailly à Monteaux (Loir et Cher et 20 km de Reugny)

 

Je quitte la cure de Reugny, il fait toujours aussi froid et le paysage est désolé.

Le curé va mourir à son tour le 14 août 1694. Il n’avait que 54 ans

 

 

        Et en 1696, Charles Demouceaux (fils de Jacques) va se marier à Reugny et sa descendance vivra dans ce village jusqu’à la Révolution.

 

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C
Terrible époque !
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B
C'est une enquête qui fait apparaitre un décompte plutôt triste, on ressent la peine de l'enquêtrice.
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C
Article original et bien écrit. Bravo
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