RDVAncestral : Inventaire après décès
Chez Françoise
Le 3 avril 1832
Ce mois-ci, un rendez-vous un peu particulier car je ne vais pas à la rencontre d’une ancêtre.
J’ai découvert cette femme, Françoise Saillant (1752 -1832) au hasard de mes recherches sur un ami de la famille Dumonceaux.
Cet ami, Nicolas Schneider (1780 – 1863) est le gendre de Françoise Saillant.
Aujourd’hui, samedi 21 juin 2025, je quitte le CARAN (Centre d’Accueil et de Recherches des Archives Nationales) où je viens de consulter le document original de l’inventaire après décès de Françoise Saillant.
Je traverse la rue des Quatre Fils et m’engage rue Charlot.
Arrivée devant le N°7, j’ai changé d’époque et nous sommes le mardi 3 avril 1832.
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Photo de Charles Lansiaux 1916
Une atmosphère très particulière règne à Paris.
Le premier cas de choléra a été signalé le 22 mars rue Mazarine. (l’épidémie fera 12 733 morts en avril 1832)
On entend les cris des chiffonniers qui manifestent dans ce très vieux quartier de Paris. Ils protestent contre l’enlèvement par les autorités des immondices qui trainent un peu partout, en particulier rue Vieille-du- Temple, située juste à côté.
Je me dépêche donc de rentrer dans l’hôtel particulier où m’attend le notaire, Me Alfred Bouard qui va rédiger l’inventaire après décès de Françoise Saillant veuve Sollier.
Arrivés au second étage d’une aile de l’hôtel particulier, le notaire me présente un homme de petite taille (1m61) et avec des yeux bleus qui s’appelle Nicolas Schneider.(source : fiche militaire)
Le notaire fait les présentations et aussitôt Nicolas Schneider me pose des questions :
Bonjour Madame, pouvez-vous me dire pourquoi vous êtes présente aujourd’hui et comment vous me connaissez.
Me Bouard, sachant que je m’intéresse à la vie de Mme Saillant veuve Sollier m’a invité. De plus, je suis une descendante de Scévola Dumonceaux dont la fille aînée a épousé Antoine Eugène Kollmann qui habitait 31 rue Transnonnains comme vous-même. (actuelle rue Beaubourg)
Ah oui, d’accord. De mon côté, je suis le gendre de Mme Saillant car j’ai épousé sa fille, Pierrette Élisabeth Chauvin.
Pouvez-vous me donner quelques renseignements sur la vie de la défunte ?
Bien sûr
Elle est née en 1752 à Cosne sur Loire (Nièvre). Ses 2 parents sont maîtres Perruquiers.
Elle quitte Cosne pour aller à Paris où elle est doreuse sur métaux mais je ne sais pas quand et pourquoi et elle n’en parlait jamais.
En novembre 1777, elle épouse Nicolas Chauvin maître doreur et beaucoup plus âgé qu’elle.
Le couple aura 2 enfants dont ma femme.
En 1805, Nicolas Chauvin meurt et tout son matériel de doreur est vendu.
En 1806, elle se remarie avec François Sollier, veuf et maître Perruquier.
En 1822, elle est de nouveau veuve et elle est âgée de 70 ans.
Et nous sommes là aujourd’hui pour faire l’inventaire de ses meubles et de leurs contenus.
Mais ne vous inquiétez pas, ce ne sera pas long car il n’y a que 3 pièces.
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Début de l’inventaire
- Dans l’antichambre
Une casserole, un passoir, un couvercle en fer blanc, une cuiller à pot, une écumoire, un chandelier en cuivre jaune, une poêle à frire, un four de campagne, un fer à repasser, une grande casserole en fer blanc et une bassinoire en cuivre Prisés en tout la somme de cinq francs
Deux grands pots gris, trois chaises, un lit de sangle, une échelle, un sac de copeaux et un lot de poterie ne méritant description Prisés ensemble trois francs
- Dans une pièce ensuite éclairée par une croisée sur la rue
Une couchette en bois peint à fond sanglé, une paillasse, un matelas, un lit de plumes, un oreiller, une couverture en laine, une paire de draps, un rideau à carreaux rouges Prisés ensemble trente francs
Une armoire en bois peint, un buffet, une petite table ronde, un fourneau, une chaufferette. Prisés ensemble dix francs
Dans l’armoire ci-devant inventoriée, un petit lot de poterie et un lot de chiffons ne méritant pas description. Prisés deux francs
Dans le buffet ci-devant inventorié, deux casseroles et deux marmites en fer, deux cuillers et deux fourchettes, un couteau, un gril, une pincette. Prisé le tout un franc
Deux petites gravures, un bouquet de fleurs artificielles sous verre, une paire de rideaux en mousseline. Prisé le tout un franc
- Dans une pièce ensuite servant de chambre à coucher éclairée par 2 croisées sur la rue.
Une paire de marmousets, un soufflet, une chaufferette, un petit lot de poterie et verrerie ne méritant pas description. Prisé le tout deux francs avec un devant de cheminée
Sur la cheminée: Une glace d’un seul morceau tachée sur son parquet, et dans son cadre doré. Prisé vingt cinq francs
Une autre glace aussi d’un seul morceau oblong aussi sur son parquet et dans un cadre doré. Prisé huit francs
Une commode et un secrétaire en bois de placage et à dessus de marbre Ste Anne Prisés ensemble vingt francs
Trois fauteuils et une bergère en bois peint couverts en velours d’Utrecht rouge, six chaises foncées en paille et une table ronde en bois blanc . Prisés ensemble la somme de vingt francs
Une couchette en bois peint, fond sanglé, roulettes à équerre, un matelas, deux rideaux en calicot blanc, quatre petits rideaux de mousseline et une chaise percée. Prisés ensemble pour la somme de dix huit francs
Vingt bouteilles vides, un lot de bois à brûler, une seringue en étain, un pot en cuivre Le tout prisé deux francs
Dans un placard d’armoire sur la porte du quel étaient apposés les scellés de Mr le Juge de Paris
Vingt quatre assiettes et un plat long en terre de pipe, un autre, un saladier, trois vases en verre bleu et un plateau en tôle et un moulin à café, Le tout prisé ensemble huit francs
Six paires de bas en coton, deux en laine, quatre bonnets, deux collerettes garnies, un jupon et un lot de de chiffons ne méritant pas description, Prisés ensemble quatre francs
Dans le bas du placard d’armoire,
Un trépied, un verrou de porte, une serrure et un lot de chiffons ne méritant pas description Le tout prisé pour deux francs.
Un anneau en or prisé deux francs
Dans le secrétaire, un cachet, le tout prisé un franc
Total de la prisée : 164 francs
(Cela équivaudrait à environ 400€)
En mon for intérieur de femme du XXIe siècle, je me dis qu’elle ne possédait pas grand-chose et que le confort de son habitation était bien sûr très sommaire à nos yeux actuels.
Pour manger, seulement 2 couverts.
Me voyant très songeuse, Nicolas Schneider reprend la parole pour m’expliquer les derniers moments vécus par Françoise.
Elle était malade et nous avons dû faire venir un médecin pour la soigner. Cela a couté 6 F.
Malheureusement elle est décédée le 5 mars 1832 chez elle.
Nous avons déclaré son décès à la Mairie du 6e arrondissement.
J’y suis allé avec Jean François Marie Henry son propriétaire bien que domicilié 31 rue Transnonnains.
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Où est-elle enterrée ?
Au cimetière du Père Lachaise dans la fosse commune.
J’ai dû dépenser 46,50 F pour l’ensemble des formalités (Mairie, église, bière et fossoyeurs)
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Extraits du registre journalier du 6 mars 1832
Cimetière du Père Lachaise
Après ces mots un peu tristes prononcés par Nicolas Schneider, je lui pose une dernière question.
Le couple Chauvin / Saillant avait-il un autre enfant que sa femme.
Oui bien sûr
Ils ont eu un fils Jean François Nicolas né en 1779 soit 3 ans avant ma femme.
Il n’est pas là aujourd’hui car il habite à Amsterdam et est bijoutier en faux (Sic) . Il est représenté.
Je le remercie et quitte donc la maison de la rue Charlot, heureuse de retrouver le XXIe siècle et son confort.
Je n’ai pas évoqué les différents papiers compris dans l’Inventaire.
Voici quelques explications sur les fosses communes à Paris , trouvées sur le site des Amis et Passionnés du Père Lachaise (APPL)
Salomon (F.T.) Le Père Lachaise. Recueil général alphabétique des concessions perpétuelles établies en ce lieu, Paris 1855.
En raison du grand nombre de décès, il n’a pas été possible, à Paris, de suivre à la lettre l’article 4 du décret du 12 juin 1804 ; une fosse dite fosse commune existe dans chacun des cimetières. Dans le Père-Lachaise, cette fosse occupe actuellement tout le terrain compris dans la section As du plan et une partie de la section Ar ; elle consiste dans une tranchée de quatre mètres d’ouverture et d’environ deux mètres de profondeur ; elle est toujours creusée d’avance ; les cercueils y sont déposés sur deux rangs l’un au bout de l’autre ; une distance est laissée entre chaque aux côtés, à la tête et aux pieds ; jamais ils ne sont superposés. Cette fosse est le cimetière commun des 6e, 7e, 8e et 9e arrondissements ; elle reçoit de vingt à vingt-cinq cadavres par jour, et cependant il n’y entre que les corps dont les familles ne peuvent ou ne veulent acquérir un terrain, soit temporairement, soit à perpétuité.
Les inhumations dans la fosse commune se font gratuitement. Autrefois elles avaient lieu hors la présence du ministre de la religion : une heureuse amélioration vient d’être apportée dans cette partie du service, des aumôniers, spécialement attachés au cimetière, reçoivent les corps des indigents à la porte, les suivent jusqu’à la tombe qu’ils ferment en récitant les prières de l’Eglise. C’est un grand soulagement apporté à la douleur si vraie du pauvre dans ces moments de séparation éternelle. Les fosses communes ne peuvent être reprises qu’après cinq années de la date des inhumations (art. 6 du décret organique).
Des entourages sont placés par les soins des familles sur ces lieux de sépulture ; des croix, dont le nombre est infini, couvrent cette partie du Père-Lachaise, elles portent des inscriptions rappelant les noms et les vertus des défunts. On peut faire exhumer les corps de ces fosses, en remplissant les formalités voulues, soit pour déposer ces corps dans des sépultures perpétuelles, soit pour les transporter hors des cimetières de Paris.
Ce texte date de 1855 et les fosses communes sont clairement visibles sur le plan de Goyer de 1867.
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