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I comme Imprimeuse ou Imprimeure

Charlotte Guillard

(Vers 1485- 1557)

 

            Renouard, dans son livre, ne lui accorde pas une très grande place.

Elle est la femme de Bertolle Rembolt puis de Claude Chevallon. N’ayant jamais eu d’enfants, elle n’a pas de descendance qui puisse être intéressante.

            Néanmoins ce fut une très grande imprimeuse-libraire.

 

 

Charlotte Guillard, imprimeuse de l’atelier du Soleil d’or au XVIe siècle

L'invention par Gutenberg des caractères métalliques mobiles au milieu du XVe siècle entraîne en Europe un développement important de l'imprimerie et une diffusion à grande échelle des livres.

Charlotte Guillard épouse en 1502 l’imprimeur Berthold Rembolt, associé de l’un des premiers imprimeurs de Paris, Ulrich Gering. Quelques années après la mort de son époux, elle se marie à l’imprimeur Claude Chevallon qui meurt à son tour en 1537. Pendant ses deux veuvages, elle reprend l'atelier d'imprimerie, à l'enseigne du Soleil d'or, et publie sous sa marque de nombreux livres, notamment des textes patristiques, des corpus juridiques et l'un des premiers dictionnaires grecs parus en France. Ses impressions sont renommées car elles sont très soignées. En 1553, elle est propriétaire d'un atelier de cinq ou six presses, d'une librairie et d'un inventaire de 13 000 ouvrages.

Blog de Gallica

Marque d’imprimeur de Charlotte Guillard, représentant un soleil d’or au-dessus d’un écusson avec ses initiales, apposée sur la page de titre d'une Bible latine imprimée en 1558, un an après sa mort

 

Le livre suivant m’a permis de vous donner quelques éléments de sa vie.

Rémi Jimenes, Charlotte Guillard. Une femme imprimeur à la Renaissance, Tours-Rennes, 2017. 304 p. ; illustrations ; préface de Roger Chartier ; ISBN : 9782753573161

Informations sur le site de l'éditeur : http://pufr-editions.fr/livre/charlotte-guillard

En voici quelques extraits

Origines familiales de Charlotte

 Comment devient-on Charlotte Guillard ? La question ne mériterait pas d’être posée si notre libraire était, comme sa consœur Yolande Bonhomme, fille d’un grand libraire parisien. Mais Charlotte n’a rien d’une héritière. Avant son mariage avec Berthold Rembolt, rien ne semble lier la famille Guillard aux métiers du livre. On ne lui connaît pas non plus de racines parisiennes. À vrai dire, on ignore l’essentiel de ses origines.

Considérant que son premier mariage dut avoir lieu peu avant 1507, on suppose que Charlotte a dû naître vers la fin des années 1480 ou au début des années 1490 Un acte conservé au Minutier central des notaires de Paris nous livre le nom de ses parents : le père se prénomme Jacques ; la mère s’appelle Guillemine Savary Les archives nous révèlent que l’éditrice parisienne conserve des attaches à Connerré, Volnay, Bouloire, Saint-Calais, Maigné, Bouër…. Nous voici dans le sud-est de la province du Maine.

C’est de là qu’il nous faut partir pour reconstituer le parcours de Charlotte Guillard.

Cette route (pour aller à Paris NDLR) est longue et dangereuse, la jeune Charlotte ne l’a pas entreprise seule, sans la protection d’hommes adultes ni perspective d’emploi. Des six ou sept enfants issus du mariage de Jacques Guillard et Guillemine Savary, seule Charlotte gagne la capitale.  

 Tous ses frères et sœurs restent dans la région mancelle. Charlotte n’a donc pas quitté le Maine pour partir à l’aventure. Un parent, un patron ou un mari l’attendait à Paris. Elle avait quelque chose à y faire… Mais quoi ?

Premier Mariage (1507-1519)

L’entrée de Charlotte Guillard dans cet univers est à ce point discrète qu’on n’en a conservé aucune trace.

 Nous croyons son premier mariage postérieur à 1502. Sans preuve décisive, nous penchons plutôt en faveur d’une union célébrée au début de l’année 1507. Le 29 novembre de cette année, en effet, « Maistre Bertholle Rembolt marchant imprimeur bourgeois de Paris et Charlotte Guyllart sa femme » contractent un bail emphytéotique pour une maison appartenant à la Sorbonne (Lettre B du Challenge).

Voici donc notre jeune Mancelle mariée, bourgeoise de Paris, et prête à s’installer dans une imprimerie qu’elle ne quittera plus jusqu’à sa mort.

         En 1507, Berthold Rembolt est déjà un homme mûr. Nos recherches nous permettent d’affirmer qu’il est veuf d’une première femme, Marie Gromors, qui ne lui a pas donné d’héritier. Il s’est déjà construit une solide réputation par son activé de libraire.

Originaire d’Obernai, en Alsace, il est associé depuis 1494 avec l’imprimeur Ulrich Gering, dont il partage l’adresse, rue de Sorbonne, à l’enseigne du Soleil d’Or.

L’installation rue Saint-Jacques marque une étape importante dans l’activité de l’entreprise. Les vastes locaux construits en 1508 permettent à Rembolt de multiplier le nombre de ses presses et d’accroître considérablement son activité.

Tandis qu’entre 1501 et 1507 le Soleil d’Or publiait en moyenne trois ou quatre titres chaque année, le rythme de publication fait plus que doubler avec le déménagement : entre 1508 et 1518 (mort de Rembolt), l’atelier publie 106 éditions, soit près d’une dizaine de titres par an, parmi lesquels nombre de volumineux in-folio.

À la fin de l’année 1518 ou au début de l’année 1519, Rembolt meurt sans héritier : ni sa première épouse, Marie Gromors, ni la seconde, Charlotte Guillard, ne lui ont donné d’enfants. D’origine alsacienne, il n’a pas de proches parents dans le royaume de France. Les lettres de naturalité dont il a probablement bénéficié lui permettent de soustraire son patrimoine à l’aubaine et de le transmettre en succession.

 Charlotte Guillard, qui possède la moitié de la communauté conjugale, peut donc en outre garder pour elle l’ensemble des meubles de son défunt mari, ses presses, ses caractères, son stock de livres.

 Elle a probablement atteint la trentaine. Elle pourrait administrer seule et en son nom l’entreprise (on sait que les usages de la corporation l’y autorisent), mais elle décide de prendre un second époux.

Secondes Noces (1520-1537) : Claude Chevallon

Charlotte convole en secondes noces avec le libraire Claude Chevallon. On le croit né vers 1479, puisqu’en 1529 il se dit âgé de cinquante ans, mais on ignore tout de ses origines sociales et géographiques.

Pour le libraire relativement modeste qu’est alors Chevallon, ces secondes noces représentent une très belle occasion. Héritière de la plus ancienne imprimerie française, propriétaire d’importants matériels typographiques, ayant l’expérience de la vie en atelier, la veuve Rembolt, encore jeune, constitue un excellent parti.

Ses années de mariage avec Rembolt puis Chevallon sont pour Charlotte Guillard des décennies de découverte et de formation. Elle s’initie au monde du livre et à son économie ; elle adopte la prestance qui sied à son statut de « bourgeoise » ; elle apprend surtout « l’estat de marchandise » et acquiert la maîtrise des techniques commerciales.

Participant activement à la gestion de l’entreprise depuis plus de quinze ans, Charlotte est donc prête, en 1537, à assumer l’entière direction du Soleil d’Or

Veuvage (1537-1557) : La Carrière Personnelle de Charlotte Guillard

À la mort de Chevallon, peu avant le mois de juillet, Charlotte Guillard approche la cinquantaine. Elle pourrait se remarier, mais n’a guère intérêt à se donner un nouveau maître. Elle prend donc la tête d’une entreprise à laquelle est étroitement lié le nom de son deuxième époux, Claude Chevallon.

Toute sa vie, elle demeurera la « Chevallone » aux yeux de ses contemporains.

            Cet engagement en faveur des Lettres, Charlotte Guillard va le tenir pendant près de vingt années. Entre 1537 et 1556, elle publie 181 éditions, soit une moyenne d’un peu plus de 9 Publications par an.

 Sous la direction de Charlotte Guillard, le Soleil d’Or conserve la double spécialité éditoriale héritée de Rembolt et Chevallon, s’attachant essentiellement à la publication d’ouvrages de droit savant et des sources chrétiennes (littératures biblique et patristique).

Les publications de l’atelier se répartissent pour l’essentiel en quatre catégories thématiques, qui couvrent à elles seules près de 85 % de la production : le droit savant, c’est-à-dire les corpus fondamentaux du droit civil et du droit canonique (26 % des titres publiés), les œuvres des Pères de l’Église (23 %), la littérature biblique (22 %), enfin les ouvrages scientifiques, principalement médicaux (13 %).        

Charlotte Guillard teste le 15 janvier 1557 et décède peu après – avant le mois de juillet. L’année suivante, ses héritiers s’associent une dernière fois pour la publication d’une Bible qui porte en guise d’adresse la seule mention apud haeredes Carolae Guillard (parmi les héritiers de Charlotte), annonçant ainsi à la clientèle la disparition de celle qui fut l’âme du Soleil d’Or pendant près d’un demi-siècle.

Page de titre de l’œuvre publiée par les héritiers en 1558

 

15 janvier 1557 : Testament De Charlotte Guillard

AN, MC, ET/LXXIII/50, f. 641

1 Fut présente en sa personne honnorable femme Charlotte Guillart, bourgeoise de Paris, vefve de feu honnorable homme Claude Chevallon en son vivant marchant libraire juré en l’Université de Paris, estant en bonne disposition et santé de son corps et esprit, mémoire et entendement, ainsy qu’elle a dict et comme de prime face il est apparu aux notaires ou chastellet de Paris soubzsignés par ses parolles et maintien. Laquelle, considerant son antien aage, les biens et graces qu’il a pleu a Dieu luy departyr et donner, qu’il n’est riens  plus certain que la mort, et moins incertain que le jour et heure d’icelle, ne voulant pas elle demeurer intestate mais tandis qu’il plaist a Dieu le createur, en continuant sa bonté, luy donner grace pendant que jugement et raison dominent en elle, lad. vefve a voulu ordonner par maniere testamentaire d’aucuns biens temporelz qu’il a pleu a Dieu luy delaisser et prester pour en user jusques a ce jourd’huy. Pour ces causes et autres bonnes, justes et raisonnables considerations ad ce la mouvans, comme elle disoyt, de son bon gré, pure, franche et liberalle volunté, recongnueut et confessa avoir faict, ordonné et disposé, faict, ordonne et dispose par ces presentes son testament et ordonnance de derniere volunté, ou nom de Dieu le pere, filz et benoist sainct esprit, amen, en faisant le signe de la croix ainsy et par la forme et manière que s’ensuit : Premièrement comme bonne chrestienne et catholicque recommande son ame a la souveraine trinité de paradis, luy suppliant et requerant tres humblement que par le merite de la tres douloureuse mort et passion de notre saulveur et redempteur Jesus Christ, il luy plaise remectre et pardonner toutes ses offences et peschez. Priant aussy et humblement requerant la benoiste et glorieuse vierge Marye, anges, archanges, sainctz et sainctes de paradis qu’il leur plaise ensemble toutes gens de bien et fidelles prier dieu pour elle ad ce que sa pauvre ame soyt receue et colloquee au royaulme celeste de paradis avec les bienheureux. Item veult et ordonne toutes ses debtes qui apperront estre loyaulment et justement deus au jour de son decez estre payees, et ses torts faictz reparez et admendez par ses executeurs cy après nommez.

2 Item faict et ordonne son testament de cinq solz pour estre distribuez en la manière accoustumee.

3 Item veult lad. testaresse et ordonne estre inhumee et mise en sepulture en l’eglise monsieur saint Benoist, sa paroisse, au lieu et place ou elle a accoustumee se asseoyr durant le service. Et que  au convoy, luminaire, service, obsecques et autres funerailles, elle s’en est du tout remise et arrestee a la discrete et bonne volunté de sesd.  executeurs.

4 Item donne a l’œuvre et fabrique de lad. esglise monseigneur sainct Benoict la somme de dix livres tournois pour une foys.

5 Item donne aussy a la bouete aux pauvres de ceste ville de Paris la somme de dix livres tournois aussy pour une foys.

6 Item lad. testaresse a donné et donne a [laissé en blanc] tous quatre enfans de Pierre Haudessens et Marye Chalembert sa niepce demourante a [laissé en blanc], la somme de deux cens livres tournois pour une fois incise : qui esta chacun d’eulx cinquante livres tournois] et ce affin d’estre moyen qu’ilz soyent mieulx pourvus, laquelle somme neanlmoins lad testaresse veult et ordonne estre et demeurer es mains et possession de sesd. executeurs cy apres nommés qui s’en chargeront jusques ad ce que lesd. Enfans soient en aage d’estre pourvuz. Et ou l’un des quatre enfans yroyt de vye a trespas, en ce cas elle entend et veult que lad.  somme soyt distribuee a celluy ou ceulx qui seront en vye et capables en aages pour la recepvoyr. Item aussy a donné et donne a Symonne et Macee Haudessens, ses niepces, a chacune d’elle la somme de cens livres tournois pour une foys payer qui seroyt deux cens livres tournois pour les deux. Et ou l’une d’elle alloyt de vye a trespas sans hoyrs lad.  somme de  IIcl. t. sera et appartiendra a l’autre franchement sans que autres y puisse riens demander et lesquelz deux cens livres tournois neanlmoins lad. presente testaresse veult et ordonne qu’ilz soient et demeurent es mains et possessions desd. executeurs qui s’en chargeront comme dessus es dict.

7 Item aussy donne a Jehane Tissier et Marye Chastellain pour ayder a les marier a chacune cinquante livres tournois pareillement en la possession d’iceulx executeurs jusques ad ce qu’on les marye. Item pareillement donne, remect, quicte et delaisse a André Baudeau, son nepveu, la somme de cinquante escuz sol qui luy doibt par sa cedulle qu’elle veult luy estre rendue comme nulle.

8 Item donne aussy a Thomas Brumen et Maury Voyrencore, ses serviteurs, a chacun dix livres tournois pour une fois et ce outre leurs sallaires et services qui leur pourroyent estre lors deubz.

9 Item ladicte testaresse a dict et declare qu’elle veult et expressement ordonne que tous les contractz et arrestz de compte qui ont esté par cy devant faictz entre elle testaresse et Guillaume Desboys, des et depuys le mariaige d’icelluy Desboys et sa femme, niepce d’icelle testaresse, pour le premier d’iceulx compte et contractz fut le mardy vingt huictieme jour de febvrier an de bissexte mil Vc  quarante sept et le dernier fut le mardy XXIIIe  jour du moys de juing mil Ve cinquante six dernier passé, touchant les livres, marchandises, charges et autres entremises que ladicte testaresse a baillees aud. Desboys tant au prix de pappier et impression que autrement, et dont de lad. marchandise et livres lad. testaresse est tousjours demouree gardienne, et redevable envers icelluy Desboys ainsy que de tout ce qui apert par lesd. comptes et contracts ainsy passés entre eulx, qu’ilz soyent et sortent leur plain et entier effet force et vertu et tout ainsy qu’il est porté et contenu par iceulx sans y contrevenir en aucune maniere.

10 Et oultre lad. testaresse a declaré qu’elle veult et expressement ordonne que tous les contractz et donnations que icelle testaresse a aussy par cy devant faictz jusques a huy, tant avec Sebastian Nyvelle et Magdaleine Baudeau sa femme, comme aussy aux enfans de deffunct son frere Jehan Guillart, sortent pareillement et entierement leur plain effect. Et tout ainsy qu’il est porté et contenu par iceulz tous lesquels contractz, tant de comptes que donnacions dessus mentionnez en tant que besoing est et seroyent, lad. testaresse a ratiffiee iceulx, rattifie, conferme et approuve par sond.  present testament et ordonnance de derniere volunté. Et davantaige ladicte testaresse a aussy dict et declaré que syses heritiers ou aucun d’eulx vouloit [incise : eux esforcer de impugner, debattre ou autrement faire] aller au contraire desd. contractz ou d’aucun d’iceulx, et de ce en intenter proces a l’encontre desd.  dessus nommez ou leur donner aucun autr empeschement, qu’elle veult et ordonne que celluy ou ceulx qui y contreviendront [incise : et ne vouldront etablir iceluy] soyent du tout privez et debouttez [incise : lesquelz, de maintenant comme pour lors, lad. testaresse prive et deboutte] du bien et droict dont led. contrevenant pourroyt heriter d’elle. Et que ledit droict successif qui appartiendroit audit contrevenant ou contredisant soyt donné a la boyste aux pauvres de ceste ville de Paris a laquelle oud. cas de contravention et contrediction lad. testaresse en a faict don et leg par ces presentes. Le contenu esd. contractz et oud. presens testament neanlmoings sortans leur effect et demourans en leur entier, car ainsy elle la voulu et ordonne.

11 Et pour l’accomplissement de cestuy sond. present testament, elle a esleu, nommé et ordonné pour ses exécuteurs honnorables hommes Mathurin Baudeau, Guillaume Desboys et Sebastien Nyvelle, ausquelz et chacun d’eulx seul et pour le tout lad. Testaresse a donné et donne plain pouvoyr et permission de icelluy testament etc. accomplir de point en poinct selon ses clauses et articles, es mains desquelz sesd. executeurs elle s’est desmise et dessaisye de tout et chacun ses biens jusques a l’entier accomplissement d’icelluy, voulant qu’ils en soient et demeurent saisiz selon la coustume. Et a revocqué et revocque tous autres testamans ou codiciles qu’elle pourroyt avoir par cy devant faictz ou passez par avant cestuy auquel elle s’est en tout arresté et arreste comme estant l’ordonnance de sa derniere volunté, en soubmestant l’audition d’icelluy soubz le scel du Chastellet de Paris.

Ce fut fait et passé l’an mil cinq cens cinquante six [1557 n. st.] le Vendredi quinziesme jour de janvier.

 

2 documents extraits de l’Inventaire des insinuations du Châtelet (Gallica)

 

 

 

 

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B
Cette femme est impressionnante !
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F
Un parcours exceptionnel que celui de Charlotte
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